jeudi 14 avril 2011

Les femmes, le "con" et Al Qaida






A Zentan, avec les vieux et les enfants, elles sont les premières à subir les effets du siège qu’impose l’armée gouvernementale à la ville. Ce jour-là, elles ont donc voulu le faire savoir, en organisant une manifestation de rue. Leur point de rencontre convenu, est la cour d’une petite école d’un quartier populaire, près du centre-ville. Mais à peine les premières arrivées, un voisin hostile leur ordonne de rentrer chez elles. « C’est du n’importe quoi. Les femmes dans la rue ? Elles dégagent sinon je fais un scandale. C’est un pêché », dit-il aux membres du conseil de transition local, l’organe installé par les insurgés pour gérer les affaires de la ville, venus remettre pancartes et haut-parleurs aux femmes.
« Désolé si c’est un pêché pour toi », se contente de lui répondre, le ton méprisant, Moussa Doueib, l’un d'eux, avant de suggérer aux femmes de changer de place. Elles se regroupent alors deux rues plus loin, le temps de laisser les retardataires arriver. Puis, elles se mettent à marcher. Massés sur les trottoirs, beaucoup d’hommes les observent. Mais eux approuvent. « Des cons, il y en a dans le monde entier et nous aussi nous en avons, comme cet homme. C’est à cause de ce genre de débiles que les gens pensent que nous sommes d’Al Qaida », se désole Moussa Doueib, en allusion aux inquiétudes exprimées quelques jours auparavant par certains responsables occidentaux, notamment américains, au sujet de la présence éventuelle de djihadistes dans les rangs des insurgés libyens. « Notre société est certes conservatrice. Mais cela tient moins de la religion que des traditions. L’Islam n’interdit pas aux femmes de sortir dans la rue. Mais certains ignorants pensent que c’est le cas. J’espère qu’avec la chute du régime, cela va changer. On ne peut pas vouloir la liberté et la démocratie tout en maintenant plus de la moitié de la population en dehors de la vie publique», complète son ami Milad Lamine, qui fait figure d’intellectuel du conseil local de transition.

lundi 11 avril 2011

Scalpé et égorgé




Il est environ 17h, lorsque le poste d’observation avancé d’Al Kachaf, cette extrémité est de Zentan, d’où vient souvent le danger pour les insurgés qui contrôlent la ville, remarque un chien grattant au milieu de la caillasse et des mauvaises herbes. La zone a été, quelques jours auparavant, le théâtre de violents combats, où des hommes ont perdu la vie, d’autres blessés et certains disparus, dont deux jeunes issus des rangs de l’opposition. Les sentinelles d’Al Kachaf, pensent donc à ces derniers que l’animal pourrait être en train de déterrer. L’intuition est bonne. Du moins à moitié. Là où le chien creusait, se trouve bien le cadavre d’un homme. Et vu l’état de son corps, sa mort remonte sans doute aux derniers combats ayant opposé rebelles et troupes gouvernementales dans cette zone. Les bouts de chaussettes et de chaussures calcinés retrouvés avec le cadavre laissent aussi présumer qu’il ne s’agit pas d’un militaire. Seule certitude : le cadavre est celui d’un homme ayant été atrocement tué. Ses meurtriers l’ont scalpé et égorgé.

P.S . Les visiteurs de ce blog ont sans doute remarqué que depuis quelques jours, nous ne l'avons pas alimenté. Des problèmes techniques indépendants de notre volonté étaient à l'origine de cette situation.

samedi 2 avril 2011

Le luxe de Zentan

A Zentan, faute d'approvisionnement, les deux stations de carburant sont fermées depuis plusieurs jours.

A Zentan, c’est le centre du monde.  Une petite maison ordinaire comme on en voit partout dans ce quartier populaire du centre de la ville. Nuit et jour, insurgés et simple citoyens s’y pressent dans une pagaille sans nom. La tension n’est jamais loin. Mais jusqu’ici, tout se passe plutôt bien. Ceux qui viennent ici, n’ont pas le choix. A Zentan, c’est le seul lieu où on peut espérer trouver un peu de carburant, depuis que les deux stations de la ville sont fermées, faute d’approvisionnement. « Jusqu’il y a peu, on arrivait à amener un peu d’essence et de gasoil, mais depuis quelques jours, cela n’est plus possible. Les routes qui nous relient aux villes du nord, comme Tripoli et Zaouiya, d’où on s’approvisionnait d’habitude sont toutes bloquées par des partisans de Kadhafi. Aucune citerne n’a pu arriver ici depuis une dizaine de jours. Sous peu, on ne pourra plus bouger. Nous sommes assiégés par l’armée. Sans doute qu’elle prévoit de nous attaquer. Imaginez vous s’il y a des blessés, comment on va les évacuer ?» se plaint Ali Salah, un des chefs de l’aile politique locale des insurgés.
A Zentan, si le carburant était le seul produit qui se fait aujourd’hui rare, les habitants seraient presque heureux. La nourriture manque aussi. En ville, aucun marché n’est ouvert. Les rares commerces encore en activité se résument à deux vendeurs ambulants de légumes, trois magasins de pâtes, produits tous importés clandestinement de la Tunisie voisine. Même le pain est devenu un luxe. Sur la dizaine de boulangeries que compte, en temps normal, Zentan, une seule travaille encore. Mais sa production ne dépasse guère quelques centaines de baguettes par jour.
« Les pharmacies sont fermées et à l’hôpital les médecins n’ont pas de quoi nous soigner correctement», explique Abderrazak Baccouche un insurgé, blessé à la main lors des derniers accrochages survenus à l’entrée ouest de la ville entre les rebelles et l’armée régulière.

vendredi 1 avril 2011

L’interrogatoire

Vidéo: capture d'écran


L’heure est tardive et par ces jours de feu et de sang en Libye trouver un commerce ouvert est un vrai miracle. On s’excuse donc de ne pas pouvoir leur servir de repas. En revanche, on leur offre à boire et leur parle avec beaucoup d’égard. Pendant de longues minutes, on leur parle d’ailleurs de tout, sauf de l’essentiel : qui sont-ils et que viennent-ils faire à Zentan ? Depuis qu’elle est entrée en dissidence voici un mois et demi contre le régime du Colonel Kadhafi, la ville est interdite aux inconnus. Les insurgés qui la contrôlent craignent d’être infiltrés par des agents secrets du régime. Les deux hommes doivent donc s’expliquer, quitte à ce que les premières questions attendent encore longtemps.
C’est Hadj Moussa et Hadj Ibrahim, les deux chefs insurgés les plus âgés présents qui franchissent le pas. Les deux hommes racontent qu’ils ont été arrêtés au premier check-point à l’entrée ouest de la ville. Ils disent qu’ils habitent à Assabaa, une ville située à l’est de Zentan,  où ils travaillent dans le même hôpital. Ils disent qu’ils reviennent du désert du sud-ouest, où paît leur troupeau de chameaux.  Ils disent qu’ils se sont trompés de chemin.
Jamais Hadj Moussa et ni Hadj Brahim, ne les feront varier de version. Même lorsqu’ils décident de les interroger séparément, leur ligne de défense reste la même. Mais au moment où ils pensent les relâcher, un jeune insurgé parti fouiller leur voiture revient avec des plaques d’immatriculation. On y lit en rouge sur fond noir « Le peuple armé », un vieux slogan de Kadhafi qui accompagne les numéros de certains véhicules militaires. S’ensuit une fouille au corps et la découverte de documents devant lesquels les deux suspects n’avaient guère le choix : ils sont tous les deux des sous-officiers et travaillent dans la police militaire de Kadhafi. Mais ils n’étaient pas en mission, affirment-ils.